"Fais un bisou à la dame !"

J'entends assez fréquemment autour de moi des parents insister auprès de leur enfant pour que celui-ci fasse un bisou, un câlin pour remercier mamie, papy, tonton, tata, parrain, marraine, la "dame" ou le "monsieur" qui lui a offert un cadeau ou eu une gentille attention.
Je dois avouer que cette habitude me met mal à l'aise lorsque je suis concernée et que j'ai face à moi un enfant gêné, partager entre l'envie de faire plaisir à ses parents et son désir d'éviter le fameux bisou/câlin car lui n'en a pas envie.

J'explique donc aux parents (et à l'enfant) qu'il n'y a aucune obligation à me faire un bisou pour me remercier. Que le simple "merci" prononcé juste avant ou bien son sourire me suffisent amplement mais que cela m'a surtout fait plaisir de lui faire plaisir. Et pourtant, les parents insistent : "mais si, il va te faire un bisou. Allez, fais un bisou !".


Alors, je me demande "pourquoi ?". Pourquoi, parce que ses parents lui demande, l'enfant devrait se forcer à faire un bisou alors qu'il n'en a pas envie ?
Je n'incrimine aucun parent car comme je le dis souvent, on fait comme on peut et je vois bien que pour quelques parents il y a un gros enjeu derrière ce bisou/câlin de remerciement. J'aimerai simplement partager avec vous mon point de vue.

Tout d'abord, le bisou forcé répété indique à l'enfant que d'une certaine façon, son corps ne lui appartient pas. En effet, c'est l'adulte qui choisit à sa place comment remercier quelqu'un, en faisant preuve d'affection physique, et cela va pour moi à l'encontre de la notion de consentement. C'est dès le plus jeune âge qu'en tant que parent, nous pouvons apprendre à nos enfants que c'est leur corps, qu'ils ont droit de refuser un contact physique avec une personne, qu'ils ont droit de dire "non", tout simplement.
Ensuite, si le bisou forcé est accompagné de chantage ("tu auras un chocolat si tu fais un bisou") ou de culpabilisation ("je vais me fâcher" ou "tata va être triste"), l'enfant va intégrer que les desiderata de chacun sont plus importants que les siens : il n'a pas envie de faire ce bisou, mais il va le faire pour avoir un chocolat, pour éviter de se faire disputer ou pour éviter de faire de la peine. Il n'a pas le choix car pour un tout-petit s'opposer à ses parents en disant "non" peut être très difficile (et même impossible lorsque ceux-ci ne peuvent pas entendre ce "non").
Enfin, pour un enfant il est difficile de comprendre de quelle façon sont liés ses parents et les autres adultes : la grande tante, le collègue de travail, le copain ou la cousine qu'il n'aura vu que rarement sont pour lui de parfaits inconnus. C'est là qu'un non-sens va naître. On va demander à l'enfant de faire un bisou à un adulte qu'il ne connaît pas, mais on va lui dire de ne pas parler aux inconnus. Il est donc d'autant plus important de permettre à son enfant d'exprimer sa méfiance ou son besoin de rester à distance avant de faire confiance.

Je voudrais aussi mettre en lumière le caractère entier et spontané de nos enfants qui font/disent les choses telles qu'ils les ressentent. S'ils ressentent l'envie de faire un bisou ou prendre quelqu'un dans les bras, ils le feront naturellement. Une soudaine fermeture ou un refus face à un adulte doit nous alerter : "mon enfant n'est pas à l'aise. Je dois l'accompagner".

Comment accompagner nos enfants d'ailleurs ? De façon très simple : être à leur écoute. Écoutons lorsqu'ils n'ont pas envie de faire de bisou ou câlin à un adulte, qu'ils ont peur de la dame ou du monsieur, etc. Apportons-leur une oreille attentive et proposons des alternatives : "tu as le droit de ne pas avoir envie de faire un bisou pour dire "bonjour" ou "merci". Je te propose de faire un signe de la main, un sourire, de dire simplement "bonjour" ou même de serrer la main si tu le souhaites". Ainsi, nos enfants ont le choix entre plusieurs façons de faire et nous pouvons même laisser libre cours à leur imagination ("comment voudrais-tu remercier cette personne ?") ou bien leur accorder du temps s'ils en ont besoin ("je vois que tu es très intimidé. Quand tu te sentiras prêt, tu pourras dire "merci" de la façon que tu veux").

Prendre le temps d'accompagner son enfant et surtout lui permettre d'avoir le choix et de pouvoir s'exprimer même pour des "petites" choses (je mets entre guillemets car ce qui peut nous sembler sans grande importance peut être tout le contraire pour nos enfants), c'est se retrouver parfois face à des personnes perplexes ou peu disposées à cette écoute ouverte.
Quand cela m'arrive, j'aime répondre que les enfants ont aussi le droit de donner leur avis et que ce n'est pas parce que ce sont des enfants qu'ils doivent obéir aveuglément. Que si mon enfant a besoin de temps pour faire confiance à quelqu'un, c'est tant mieux et je l'aiderai à cultiver son sens de l'observation, à prendre le temps de s'écouter et se respecter.

Alors, en ces périodes de fêtes où les enfants vont recevoir bon nombre de cadeaux et où les adultes seront dans l'attente d'un bisou ou d'un câlin, demandez-vous : "et mon enfant, qu'est-ce qu'il veut ?" ;)

Commentaires